Fluidité, Fun et Frugalité au Travail avec Frédéric Losfeld, fondateur de F-Cube

Dans ce nouvel épisode de Transformations en pratique, nous rencontrons Frédéric Losfeld, fondateur de F-Cube, consultant en transformation organisationnelle et ancien dirigeant industriel. Avec lui, nous explorons les défis auxquels les entreprises font face aujourd’hui, la question de la complexité, le rôle des managers, les nouvelles formes d’organisation et la place de la technologie dans ce paysage mouvant.
Bonjour Frédéric, pourrais-tu te présenter et nous dire ce qu’est F-Cube ?
Je suis consultant en transformation depuis près de vingt ans, après une première partie de carrière dans l’industrie. Le fait d’avoir exercé des rôles opérationnels a profondément marqué ma manière d’accompagner les organisations : je cherche toujours à transformer des pratiques concrètes, visibles et utiles au quotidien.
J’ai fondé F-Cube il y a bientôt dix-huit ans. Le nom reflète la vision que je porte pour les organisations d’aujourd’hui : elles doivent devenir plus fluides, plus fun et plus frugales.
Plus fluides dans leur organisation interne, la circulation de l’information, la prise de décision.
Plus fun parce que l’engagement passe par le plaisir, l’envie, le bien-être.
Plus frugales parce que nos ressources – énergétiques, matérielles, humaines – sont limitées, et que faire mieux avec moins devient une compétence stratégique.
Quels sont selon toi les principaux défis auxquels les organisations font aujourd’hui face ?
Le premier, c’est le rapport au temps. Beaucoup de dirigeants et de managers n’ont plus l’espace nécessaire pour accomplir leur vrai rôle : penser l’avenir, innover, anticiper. Ils sont happés par les réunions, l’urgence, la gestion du quotidien.
Vient ensuite la complexité. Nous évoluons dans un monde globalisé, instable, traversé par des tensions économiques, politiques, sociétales. Ce niveau d’incertitude n’a rien à voir avec ce que nous avons connu auparavant.
Le défi central, selon moi, est donc :
Comment trouver une forme d’organisation et un mode de leadership adaptés à cette complexité ?
Aujourd’hui, nous voyons un choc entre un monde de plus en plus complexe, qui exige agilité et adaptabilité, et des organisations encore très rigides et très hiérarchiques. La vraie question est : comment rendre l’entreprise elle-même capable d’absorber la complexité plutôt que de la subir ?
Concrètement, comment accompagnes-tu les organisations dans leur transformation ?
Avant tout, j’essaie de rester humble : je n’ai pas de modèle magique ni de recette universelle.
Je pars toujours de là où se trouve l’entreprise :
– sa culture,
– son niveau de maturité,
– ses tensions internes,
– ses ambitions réelles.
Tout le monde ne peut pas - et ne doit pas – devenir une organisation totalement autonome, en réseau ou auto-dirigée. Le chemin dépend du point de départ.
Pour travailler sur cette transformation, je mobilise trois cadres principaux :
1. Une lecture systémique de l’organisation
Je croise trois niveaux (organisation, équipes, individus) et trois thématiques (vision, personnes, process). Cela permet de repérer où agir pour avoir un impact durable.
2. Le modèle de Patrick Lencioni sur les dysfonctionnements d’équipe
La confiance y est la base : sans confiance, pas de confrontation constructive ; sans confrontation, pas d’engagement ; sans engagement, pas de responsabilité ; sans responsabilité, pas de performance.
3. L'ennéagramme
C’est l’outil le plus puissant que je connaisse pour comprendre les motivations profondes, les dynamiques internes et les réactions de chacun. C’est indispensable quand on touche à l’identité professionnelle des managers.
Lorsque tu parles de “forme” d’organisation, que veux-tu dire exactement ?
La forme classique, c’est l'organigramme pyramidal, stable, hiérarchique, qui fonctionne très bien… dans un monde stable. Ce n’est plus notre réalité.
Aujourd’hui, les formes plus adaptées sont :
– les organisations en réseau,
– les structures cellulaires,
– les modèles inspirés de la sociocratie ou de l’holacratie,
– les équipes autonomes interconnectées.
Ces formes permettent davantage de transversalité, de fluidité et de réactivité.
Et l'ennéagramme, comment le décrirais-tu à quelqu’un qui ne connaît pas ?
Contrairement à d’autres modèles de personnalité centrés sur les comportements visibles, l'ennéagramme s’intéresse aux motivations profondes. Deux personnes peuvent agir de la même manière, mais pour des motivations totalement différentes.
C’est un modèle dynamique, qui aide à mieux se connaître, mieux comprendre les autres, et créer les conditions d’un leadership plus mature.
Comment trouver l’équilibre entre confiance et performance ?
Le modèle de Lencioni décrit parfaitement ce lien.
Lorsque la confiance est faible, on n’ose pas se dire les choses. On évite la confrontation. Les décisions ne se prennent pas clairement. Les gens se désengagent. La responsabilité devient floue. Et la performance collective s’effondre.
La confiance n’est donc pas un “plus”, c’est un pré-requis à la performance.
Le vrai défi, c’est l’équilibre entre exigence et bienveillance.
Souvent, les managers pensent devoir choisir. Non : il faut les deux.
Quels changements de posture mentale sont nécessaires pour accompagner ces transformations ?
Pour les managers, le changement clé est :
passer de l’expert qui apporte les réponses au leader qui pose les bonnes questions.
C’est un basculement profond, presque identitaire.
Pour les dirigeants, c’est le lâcher-prise.
Faire confiance. Accepter que les décisions soient prises ailleurs. Soutenir l’autonomie sans renoncer à l’exigence. La valeur de W. L. Gore – la « ligne de flottaison » – illustre très bien ce principe.
Quel rôle joue la technologie dans tout cela ?
Un rôle essentiel.
D’abord pour donner de la visibilité sur les rôles, les responsabilités et les processus, surtout quand l’organisation se complexifie.
Ensuite pour rendre l’information accessible à tous, au bon moment, afin que chacun puisse prendre de meilleures décisions.
C’est la raison pour laquelle je me suis rapproché de Talkspirit : sans un outil de structuration, d’ancrage et de circulation de l’information, les transformations humaines n’atterrissent pas.
Et si on parle spécifiquement d’IA, comment vois-tu son rôle dans la transformation organisationnelle ?
L’IA va d’abord nous enlever des tâches répétitives, administratives, structurelles. C’est précieux si cela libère du temps pour la relation, l’innovation, la pensée complexe.
C’est aussi un outil utile pour challenger une idée, simuler des scénarios, synthétiser des données. Dans certains contextes, c’est devenu indispensable.
L’impact réel de l’IA reste encore difficile à mesurer, mais elle va transformer radicalement les métiers, les pratiques et les organisations.
Peux-tu partager une histoire concrète qui illustre le type de transformation que tu accompagnes ?
Oui. Une équipe que j’ai accompagnée récemment traversait une grande souffrance : incompréhensions, tensions, départs.
Nous avons mené un séminaire de deux jours, après des entretiens individuels. À petits pas, avec beaucoup de précaution, quelque chose s’est ouvert : compréhension mutuelle, reconnaissance, émotions, l’envie de se parler autrement.
À la fin, plusieurs personnes ont dit :
« Cette équipe n’est plus la même. »
C’est pour ces moments-là que je fais ce métier.
Quel conseil donnerais-tu aux leaders qui veulent faire évoluer leur organisation ?
Très simple : commencez par vous-même.
Si les dirigeants ne se transforment pas en premier, rien ne bougera durablement. L’entreprise vient toujours challenger celui ou celle qui décide de libérer plus d’autonomie.
Et toi, quelles sont les questions que tu continues à te poser ?
Beaucoup.
Comment redonner du temps et de la respiration aux équipes ?
Comment replacer l’informel au cœur de la vie organisationnelle ?
Quelle sera l’évolution réelle de l’IA sur nos métiers, nos rôles, nos structures ?
Comment saisir les opportunités de cette période de chaos plutôt que de sombrer dans ses dangers ?
Je reste profondément optimiste : nous vivons une époque difficile, et aussi un immense champ des possibles. Une période d'intense création s'ouvre, à nous de la saisir.
Conclusion
À l’écoute de Frédéric Losfeld, une conviction se dégage : transformer une organisation n’est ni une affaire de modèle parfait, ni un exercice théorique. C’est un chemin profondément humain, qui demande du temps, de la lucidité et surtout du courage; celui de commencer par soi, de revoir ses postures, de redonner de la liberté tout en proposant un cadre clair.
Fluidité, fun, frugalité : trois mots simples pour décrire une transformation ambitieuse. Dans un monde où la complexité augmente plus vite que les structures qui tentent de la contenir, son message est clair. Une entreprise ne devient adaptée au XXIᵉ siècle que si elle apprend à absorber cette complexité plutôt qu’à la nier, à faire confiance plutôt qu’à contrôler, à créer du sens plutôt qu’à empiler des réunions.
Et si la technologie, notamment l’IA, peut soutenir ce mouvement, elle ne remplace jamais ce qui reste le cœur du changement : la qualité des relations humaines, la clarté collective et la volonté partagée d’évoluer.


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